lundi, avril 10, 2006

Élévation : Godard selon Bergala

La Passion, 1982 - Jean-Luc Godard

La pesanteur, la grâce et le cinéma

De Passion et de Nouvelle Vague, on pourrait commencer par dire que ce sont deux films où Godard a éprouvé le besoin impérieux d’une grande grue, comme dans les films d’Hollywood ou comme Rossellini dans deux plans de Voyage en Italie - film qu’Alain Delon et Dimiziana Giordano étaient censés regarder à la télévision dans le scénario de Nouvelle Vague. Par un besoin d’élévation, pour que le film quitte de temps en temps la hauteur et l’échelle des affaires humaines pour s’élever à un point de vue qui ne soit plus celui des personnages, encore moins celui d’une maîtrise surplombante du cinéaste. Mais pour rendre compte dans le même plan des passions humaines et de la majesté d’une grande demeure au bord du lac, depuis le point de vue non humain des plus hautes branches de ces arbres qui assistent impassibles et bienveillants depuis des siècles à cette minuscule, énigmatique et touchante agitation, comme dans un tableau de Poussin. Mais aussi par un besoin de chercher la grâce dans le mouvement descendant de la caméra, comme dans le dernier mouvement de grue sur le tableau du Greco dans Passion. Dans ces deux films, Godard, qui avait demandé à Isabelle Huppert de lire La Pesanteur et la grâce en guise d’exercice spirituel pour se préparer à jouer son rôle de vierge militante syndicale dans Passion, reprend à son compte la phrase de Simone Weil : « La pesanteur fait descendre, l’aile fait monter : quelle aile à la deuxième puissance peut faire descendre sans pesanteur ».

Alain Bergala
Croc Blanc a.k.a. à la recherche de Simone Weil