vendredi, février 23, 2007

Suggestion DVD : Maladie mortelle

L'Organe, Mensuel francophone de l'Université Concordia, Montréal
Thème du numéro : Maladie moderne

La mort de Mr. Lazarescu
Roumanie, 150 minutes, 2005

Sous l’indifférence de ses trois chats, Dante Remus Lazarescu vit seul entre les murs beiges de son appartement exigu. Sa sœur habite dans un village voisin, sa fille a immigré au Canada, sa femme est morte depuis dix ans. Mais, ce n’est pas une simple journée qui s’annonce dans la vie d’un homme ordinaire. Depuis son réveil, il souffre de maux à la tête et au ventre. Pour éteindre la douleur, il se gave de médicaments, se saoule de potions artisanales. Le mal persiste. Il se résigne à téléphoner pour qu’une ambulance le cueille à son domicile sale et bordélique.
Pendant l’attente du véhicule d’urgence, un couple voisin prend soin de lui avec des moyens limités. Face aux étourdissements de Dante, l’homme tente de le raisonner quant à sa consommation abusive d’alcool ; après qu’il aie vomi de la bile et du sang, la femme lui offre de la moussaka.

L’ambulance arrive enfin, et le vieux roumain est pris en charge par une infirmière paramédicale. Sans le savoir, elle devient l’ange gardien du malade jusqu’à la fin de son périple. D’une salle d’urgence à l’autre, ils affrontent ensemble les débordements à l’urgence, l’insolence envers les patients, la lourdeur de la bureaucratie hospitalière, le manque de respect des docteurs envers les strates inférieures de la hiérarchie médicale...

Le cas de Lazarescu s’empire au fil du voyage, alors que son côté droit se paralyse peu à peu et son esprit s’embrume. De quoi souffre-t-il ? Simple ivresse, ulcère anciennement traité ou tumeur du colon ? Les hypothèses se suivent, mais ne se confirment pas, jusqu’à ce qu’il passe un scan au cerveau. La longue route s’arrête finalement dans un hôpital accueillant, à l’esprit humanitaire, où gît sur une civière métallique l’homme dans la soixantaine entre la vie et la mort. Au bout du compte, le film résout l’énigme du nom à portée mythique du protagoniste : le passage dans les hôpitaux en cercles d’enfer pour Dante, la mort entre les mains des proches tel Rémus, puis la maladie comme Lazare, le ressuscité du Christ et patron des lépreux au Moyen-Âge.

Dans un esprit documentariste, Cristi Puiu offre une brillante ode à la mortalité au ton verdâtre, avec une caméra aussi nerveuse que précise. De l’odyssée d’un condamné à mort émerge une touchante allégorie aux thèmes universels : le vieillissement et la solitude, l’éthique et l’être humain, la dignité et la mort. Au centre de ce ballet hospitalier à la mise en scène naturaliste, s’élève la colossale performance de Ion Fiscuteanu, qui prête totalement son corps au jeu, dans le rôle du pauvre patient manipulé, dénudé, rasé. Malgré la lourdeur du sujet, le réalisateur roumain évite le piège du misérabilisme par l’humour noir des dialogues. Second long métrage d’un peintre passé cinéaste, La mort de Mr. Lazarescu a reçu plusieurs récompenses sur la scène internationale, dont le prix Un Certain Regard à l’édition 2005 du Festival de Cannes.

Croc blanc a.k.a. loup enrhumé