jeudi, mars 30, 2006

Politique de la lumière

Politique de la lumière :
Hommage à notre paysannerie de l’abbé Albert Tessier
et le Bien platonicien


http://www.cinema-quebecois.net/edition4/bosse.htm

Un texte-prémisse au mémoire de maîtrise et introduction théorique à un futur film documentaire, partant d'archives du prêtre-cinéaste. Exploration d'une quinzaine de pages sur le travail cinématographique de l'abbé Albert Tessier: la construction de sa pensée cinéma sous l'éclairage des concepts de Platon.

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Présentation
Introduction
Science of the Spirit: Québec Cinema in the Age of Technological Reproduction
To suggest that technology is immune to religious discourse is to posit science as the immutable other. This has never been the case: all faith discourses are just that. Logics that posit immunity will always in some sense marry Science and Religion. The technological and its diverse auras is not neutral. It is inflected by the politico-cultural discourses that make it viable. Cinema can be a religious machine as much as it can be a political machine (see Patrick Bossé’s paper).
Erin Manning
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Résumé
Pendant trois décennies, à partir de la fin des années 1920, l’abbé Albert Tessier réalise plus de 70 courts métrages. L’ecclésiastique cinéaste tente de définir par l’image mécanisée la nation canadienne-française en articulant les scènes ethnographiques autour de motifs religieux : un peuple par et dans le sacré. Dans une démarche militante, Tessier projette et commente ses films d’une région à l’autre, modifiant sa parole narratrice selon le milieu de diffusion et ses caractéristiques socio-économiques propres. Cependant, l’Église catholique ne s’ouvrira que tardivement à la démarche d’éducation par l’image de Tessier, avec la parution de l’encyclique au cinéma Vigilanti Cura en 1936. En garde face à la nocivité présumée des images projetées sur les croyants, le Pape Pie XI y proclame le cinéma ni bon ni mauvais – son caractère sera donc attribué selon que l’on souscrive à certaines idées du Divin. Une correspondance devient alors apparente entre l’appréhension du cinéma par le Vatican et l’allégorie de la caverne dans la philosophie platonicienne : l’Église craint l’égarement des croyants face à un monde impur – les ombres du Sensible –, fruit d’une lumière manipulée par des intentions malveillantes, plutôt qu’obéissante à l’Intelligible (aux lois du Divin). Ici, Tessier se sépare du Clergé, et de fait avec la philosophie de Platon, privilégiant plutôt une œuvre cinématographique dont la vérité du message émane du Sensible, lequel incarne en soi la pureté divine. Or, comme le démontre cet article, des traces de la pensée platonicienne demeurent néanmoins présentes dans l’activisme sociopolitique de Tessier, tel qu’il le met en scène par l’outil-cinéma – entre autres dans la construction du discours, de la rationalité divine et des dynamiques sociales.


Croc Blanc a.k.a. we are wolves


mercredi, mars 29, 2006

Film du jour : Caché

Caché, 2005 - Haneke

Caché, comme dans cacher le procédé.

Ext. Jour. Paris. Rue devant un commisariat

Un jeune homme africain roule à vélo dans une étroite rue parisienne. Un homme et une femme sorte d'un commisariat de police. Sans faire attention où ils mettent les pieds, ils s'apprètent à traverser la rue. Quelques pas. Presqu'une collision. Plus de peur que de mal. À qui le blâme ? Pour Georges Laurent, le personnage brillament interprèté par Daniel Auteuil, pas de doute : l'autre - l'étranger - est coupable.

Le film trouve ainsi sa cohérence dans le rejet de culpabilité. Jusqu'à la fin, dans un long plan séquence, le génie d'Haneke est dans le procédé. La victime finale: le public.

Caché, mais pas tant que ça.

Croc Blanc a.k.a. par la peau du...

Histoire du soir : Encore Julien

Je me permet de l'appeler Julien ,car j'ai l'intention de le fréquenter sérieusement d'ici peu.
Pour arrêter de courir après les citations à gauche et à droite:
Trouver rapidement son journal.
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Du temps que je pouvais me dire catholique, je ne craignais pas la mort.. la certitude du salut me mettait à l'abri des terreurs dont j'ai souffert plus tard. Mon petit pamphlet qui est une sorte d'adieu à la foi religieuse de mon enfance, m'a mis en quelque sorte à découvert. Aussi, la crainte de mourir s'est-elle fait jour sans tarder dans tout ce que j'ai écrit depuis et elle éclate dans le roman qui m'occupe aujourd'hui (Le Visionnaire). J'aborde enfin le sujet qui m'attire, me fascine et m'épouvante. C'est l'obsédé qui se jette dans l'abîme qu'il redoute.
Julien Green
Journal, Tome I, pp. 118-119
***
Rencontre de quelques phrases qui illuminent un désir depuis longtemps présent. Ce servir des mots de Green, son courage, comme prémisse-lanterne à un long scénario sur la responsabilité de la mort, dans son déterminisme et son conditionnement. Le rapport à l'inévitable.
Croc Blanc a.k.a. en pause de travail...

La beauté d'un titre

Tellement compliqué de nommer. Ne jamais oublier la définition des mots.
J'anticipe déjà deux ou trois productions estivales et me demandent quels seront leur nom. Comme nommer un enfant. Une marque indélibile. Une tâche de naissance.

L'option plus littéraire. Je travaille sur une conférence de Bernard Émond au Rencontre internationale du documentaire de Montréal en 2004 en ce moment. J'ai croisé à nouveau le très beau titre de son premier documentaire professionnel :
Ceux qui ont le pas léger meurent sans laisser de trace
Le titre de mission. Établir un titre pour ne pas déroger de sa mission. Penser aux frères Dardenne: La promesse, Rosetta, Le fils, L'enfance. Nommer l'incontournable, l’inoubliable, l'essentiel.
Des centaines d'autres options à considérer.
Croc Blanc a.k.a. coeur de loup

mardi, mars 28, 2006

Film du jour: Cape Fear

Cape Fear, 1991 - Martin Scorsese

Int. Jour. Cellule de prison

Un prisonnier s'entraîne. Construction du prédateur sexuel en monstre palpable : voir les muscles qui se crispent, entendre la respiration haletante. Installer la menace dès le départ.
Croc Blanc a.k.a. bête de même...

lundi, mars 27, 2006

Histoire du soir : La vie de nuit

La nuit, la nuit de tout temps j'ai senti qu'elle m'était favorable. Elle marque pour moi l'évanouissement d'un monde d'apparences, le monde éclairé par le soleil avec ses couleurs propres et son perpétuel bruit de paroles: elle accomplit dans le domaine sensible ce que nous devrions pouvoir accomplir dans le domaine de l'esprit et ce qu'elle propose aux yeux de la chair attire invinciblement le regard intérieur.

Julien Green
Journal, Tome II, pp. 143-144

***
Pensée pour le professeur Haeck qui refusait les néons dans la salle de cours.
Recréer la nuit dans l'école pour que les esprits s'éclairent.
Croc Blanc a.k.a. le pacte des loups

dimanche, mars 26, 2006

Film du jour : On est loin du soleil


On est loin du soleil, 1971 - Jacques Leduc

Int. Jour. Appartement.

Une jeune cancéreuse approchent la mort. Quelques jours encore. Toutes les actions du quotidien deviennent rituels de derniers moments. Se peigner. Ranger un vase sur une commode. La charge de son drame dans ses actions.
***
Int. Jour. École.
Comment résoudre l'histoire, le poids du temps, en un plan et une action ? Plan séquence. Un concierge traverse un long corridor. Au rythme de ses pas, défilent aux murs les photographies mosaïques de finissants, une année après l'autre.
Trente années plus tard, Sokurov reconstruit, filme puis montre son histoire de la Russie. Il met en scène, dans un plan séquence de 96 minutes, l'errance d'un aristocrate français du 19e siècle à travers les corridors de l'Hermitage, bondés de figures historiques fondatrices de l'idée russe, et entre ses murs chargés de tableaux et sculptures - traces du passé.
Même démarche, autre Temps/temps.
L'Arche Russe, 2002 - Aleksandr Sokurov
***
Jacques Leduc
Jean-Pierre Bastien et Pierre Véronneau
Cinéaste du Québec, numéro 12, juillet 1974, 96 pages
Conseil Québécois pour la Diffusion du Cinéma

Nous avons remarqué que tu as une affection pour le plan séquence.

LEDUC : Y faut pas dire ça comme ça; c’est à cause du sujet. Le style d’un film tu l’inventes pas, il est imposé par le sujet. C’est pas un «trade mark» le plan séquence. C’est parce que les sujets que j’ai choisis le nécessitaient.
C’est quoi ton langage ?

LEDUC : On s’applique à trouver un langage filmique et québécois, sur des préoccupations qui nous appartiennent davantage. Je ne pense pas avoir un langage spécifiquement québécois, mais c’est vers quoi on tend. T’as pas le choix, c’est ça, c’est le social qui te détermine. Je ne suis pas autre chose que la somme… je suis fabriqué par l’environnement, je ne suis pas déterminant sur lui; c’est lui qui l’est sur moi. En ces termes, je n’ai quasiment pas le choix des sujets. L’environnement me les impose; je les choisis, mais dans l’environnement. Être cinéaste, c’est montrer ses déterminismes.
***
Petits mots.
Penser être la somme de ses déterminismes et conditionnement, je le crois.
Par contre, dire que le cinéaste n'agit pas sur le social détruit en soi l'acte cinéma, en niant la communauté de production et l'acte de projection, le public.
Réussir le cinéma par la lumière: capter, monter et projetter.
Le cinéma, c'est toujours de la propagande.
Croc Blanc a.k.a. des mots-maux de dimanche...

Mots de la nuit : Les humains de Falardeau

Je pense que c’est révolutionnaire de filmer des humains.
Juste ça, filmer des êtres humains en vie, c’est révolutionnaire et c’est résister.

Les Humains
Musique: aKido
Paroles: Pierre Falardeau

Croc Blanc a.k.a. qui a entendu la chanson pendant la prestation d'aKido au spectacle de Bande à Part, vendredi 24 mars au Spectrum .

jeudi, mars 23, 2006

Court métrage : Crayon à l'encre

Ext. Jour. Bibliothèque Nationale. Coin Berri et Maisonneuve.

Deux hommes, un jeune et un vieux, s'échangent leurs coordonnées.
Le vieux dit au jeune :

Ça fait quinze ans que je n'ai pas écrit avec un crayon à l'encre noir.
Là dernière fois, mon père est mort.

Le vieil homme prend le crayon noir et écrit ses coordonnées sur un bout de papier.

Croc Blanc

Histoire du soir: Je ne sais toujours pas

Un jeune homme soutient une jeune femme qui monte sur une butte de neige. La jeune femme a pleuré en racontant sa vie amoureuse. Le jeune homme l'aide. Là où sa main lui tient le coude à elle, il y a déjà leurs enfants qui sourient.
Philippe Haeck
Je ne sais pas, pages 78 - 79

Sculpter les corps: POLA X

POLA X, 1999 - Léos Carax

Int. Jour. Petit matin. Salle de bain.

Après l'amour au petit matin, Pierre et Lucie dans la salle de bain. Pendant que Lucie soulève son gilet au-dessus de sa tête; Pierre arrête son mouvement. Visage et bras de Lucie se trouvent recouverts de tissu. Pierre lui embrasse aisselles et seins.

Sculpter le corps de l'autre: l'aimée en Aphrodite de Cnide.

Croc Blanc a.k.a. qui attend toujours le prochain Carax a.k.a. qui reparlera de Carax plusieurs fois encore a.k.a. qui dit louez donc les films de Carax : Boy Meets Girl, Mauvais Sang, Les amants du Pont-Neuf, Pola X a.k.a. qui pense qu'il pourrait aussi faire quelques films et arrêter, donc il n'en veut pas à personne, juste content de ce qu'il a eu le bonheur de voir.

Critique de Michel Bélair: Réponse à Philippe


Pour faire suite à mon envie précédemment mentionnée de retourner à l'écriture de lettres, je commence dès aujourd'hui. Suite à la publication de la critique de Michel Bélair sur le film André Brassard: Le diable après les cuisiniers, un fidèle lecteur de mon petit machin journal cybernétique (mon coloc, soyons honnête...), m'a demandé ce que je pensais du livre de Mouawad, sujet d'éloges de M Bélair, au détriment du film... Je te répond donc dans les lignes qui suivent, Philippe.

***
Cher Philippe,
Je te répondrai brièvement en deux points. D'abord, oui, j'ai lu le magnifique livre de Mouawad. Fondamental pour comprendre le théâtre de Brassard, même le théâtre québécois. Mais, c'est un livre. Ce qui m'amène à mon deuxième point: la critique de Bélair me semble en cohérence avec les ayatollahs littéraires (pensons aux commentaires obsessifs/excessifs à la sortie des Lord of the Rings) Effectivement, le film sur Brassard est moins touffu d'informations, de didactisme, d'anecdotes que le livre. Mais, ce que l'on perd d'un côté, on le gagne de l'autre. Le film déploie une dimension métaphorique que le livre n'effleure pas, n'étant pas sa mission de toute façon. Par le montage alterné entre les ateliers sur Racine et les entrevues avec le metteur en scène, le portrait montre Brassard qui met en scène sa passion, son goût de travailler le théâtre. Puis, comme toute passion, il y a une fin déchirante, l'abandon: Brassard qui attend seul dans son appartement de retomber en amour.
On peut certainement comparer les pommes et les oranges, suffit d'être juste et honnête en avouant dès le départ que l'on compare des fruits différents...
Croc Blanc a.k.a. la parade du loup a.k.a. content d'écrire une première lettre depuis longtemps

mercredi, mars 22, 2006

Film du jour: Caro Diario

Caro Diaro, 1994 - Nanni Moretti


J'écris par souvenir pur, comme le suggère Cavell dans The World Viewed: Caro Diario est un film dont j'ai peine à me souvenir des mots, mais me rappelle clairement la voix - petite trace d'un film remonté naturellement à la surface de ma mémoire. Je ressens un étrange réconfort en pensant aux longs plans séquences animés par la parole de Moretti, qui roule à travers les étroites rues de Rome sur sa Vespa.

Croc Blanc a.k.a. donde esta fernando venezuela

Histoire du soir: Je ne sais pas

Qui va faire l'éloge des femmes, des hommes ordinaires qui font bien leur travail, aiment, souffrent, des gestes ordinaires. La douceur de vivre tient à une bonne soupe, un sourire. un regard, une lettre écrite avec le coeur qui embrasse l'autre.
Philippe Haeck
Je ne sais pas - page 15
***
Se souvenir de la parole du professeur Haeck : trouver sa voix/voie d'écriture.
***
Écrire le cinéma comme une lettre: lettre ouverte, lettre d'amour, lettre d'ami.
Croc Blanc a.k.a. un loup qui pense que l'on devrait s'écrire plus souvent...

mardi, mars 21, 2006

Le diable en personne


Michel Bélair
Le Devoir - CULTURE, mardi 21 mars 2006, p. b7

Il y a un peu plus d'un an, Wajdi Mouawad publiait une série d'entretiens avec André Brassard (Je suis le méchant!, chez Leméac). Par ses audaces diverses, par ce que les deux hommes ont osé y mettre en regardant tous deux l'inacceptable en plein visage, par son ton aussi, exigeant, vrai, dérangeant, ce petit livre est tout de suite devenu une référence pour tous ceux qui veulent saisir ce personnage bouleversant qu'est devenu André Brassard avec les années. Une sorte de passage essentiel.


Autant le livre que Brassard lui-même, d'ailleurs. Brassard qui, à la même hauteur que Tremblay, a fait exploser le moule du théâtre que l'on a fait ici de l'après-guerre jusqu'à la fin des années 60. On oublie trop souvent de souligner à quel point il a attaqué aux flancs, Brassard, des formes théâtrales désincarnées qui s'incrustaient un peu partout dans le paysage. En faisant des Belles-Soeurs une cérémonie, en lui donnant ensuite de multiples niveaux de lecture - choeur grec, tragédie western, numéros burlesques et mélodrame populaire tout à la fois -, c'est la façon même, de plus en plus uniforme, de faire du théâtre ici qu'il a fait éclater, Brassard. Rien de moins. André Brassard est en fait un des premiers missiles à avoir frappé au coeur de notre encrassement collectif. Et c'est par la brèche qu'il a ouverte que tous les autres ont pu s'infiltrer par la suite... Bon. Je me calme; vous savez déjà tout cela...

N'empêche qu'on ne parlera jamais assez de Brassard. Je vous souligne d'ailleurs qu'on l'a fait lors de la récente édition du FIFA en présentant un tout nouveau documentaire sur lui; si vous ne l'avez pas vu durant le festival, vous aurez l'occasion de vous reprendre demain lors d'une présentation spéciale gratuite à la Salle Marie-Gérin-Lajoie de l'UQAM, dans le cadre de l'Annuelle de l'École des médias à 12h30. Ça porte le titre d'André Brassard: le diable après les cuisiniers. C'est réalisé par Alexandra Oakley et Patrick Bossé dans la série Paroles d'artiste produite par Josette Féral et Paul Tana qui s'efforce de reconstituer, à partir de ceux qui l'ont dessiné, le paysage théâtral du Québec. J'ai regardé Le diable après les cuisiniers dimanche soir en revenant de ma campagne toujours enneigée. En pensant à vous, bien sûr...


Disons tout de suite que le titre vient d'une phrase de Robert Lepage qui raconte dans le film avoir tout appris de Brassard. Sauf de très rares exceptions, explique Lepage, on faisait avant lui de la mise en scène comme les cuisiniers préparent un plat; en plaçant ceci par-ci et cela par-là. «Brassard, c'est le diable qui vient tout mêler», dira-t-il dans un gros plan qui semble chercher à mettre en relief le moindre frémissement de son visage.


De ces gros plans plein écran ou presque, le petit film d'un peu plus d'une heure en regorge. Un de ses plus grands mérites est d'ailleurs de braquer la caméra sur Brassard. Sans pudeur. Sans gêne non plus. Il vous faudra sans doute quelques minutes pour vous faire à cette nouvelle voix éraillée, à ces gestes saccadés, à cette silhouette aussi de quelqu'un qui ne s'appartient plus tout à fait: Brassard, on le constate si on ne le savait pas encore, a dû réapprendre à parler tout autant qu'à marcher après l'accident cérébral qui l'a terrassé en 1999.


Et le drame - parce qu'il y a évidemment là un drame déchirant -, c'est de sentir que le même Brassard, que le diable en personne est toujours là emprisonné dans une enveloppe qu'il ne contrôle plus que très mal.


Le film est composé de deux parties qui s'entrecoupent: une longue entrevue et un atelier de travail sur Racine avec une dizaine de comédiens. On passe de l'une à l'autre sur un fond musical très discret. On y sentira la passion du théâtre qui anime toujours ce diable d'homme. Sa lecture profonde des textes aussi et sa façon particulière de mordre, ou plutôt, de faire mordre dans les mots tout autant que dans le sens. Quelques interventions extérieures, de Michel Tremblay et de Robert Lepage entre autres, et des documents d'archives remontant jusqu'aux Belles-Soeurs, viennent boucler l'ensemble.


On ne trouvera pas ici la profondeur du livre d'entretiens de Wajdi Mouawad; les sujets abordés par le film sont moins englobants, plus limités. Mais, par moments, vous verrez, au détour d'un gros plan et de l'amorce d'un sourire, le diable en personne réussit parfois à montrer le bout de son nez.

© 2006 Le Devoir.

lundi, mars 20, 2006

Histoire du soir par Julien Green

Te voilà donc, à près de quarante-deux ans... Que penserait de toi le garçon que tu étais à seize ans, s'il pouvait te juger ? Que dirait-il de ce que tu es devenu ? Aurait-il seulement consenti à vivre pour se voir ainsi transformé ? Est-ce que cela en valait la peine ? Quels secrets espoirs n'as-tu pas déçus dont tu ne te souviens même pas ? Il serait passionant, quoique triste, de pouvoir confronter ces deux êtres dont l'un promettait tant et l'autre a si peu tenu.

Julien Green
Journal, Tome III
11 mai 1942

Croc Blanc a.k.a. la gueule pleine de sang

Film du jour : Au hasard Balthazar

Au hasard Balthazar, 1966 - Robert Bresson

Les aventures amères d'une jeune fille devenant femme s'entremêlent avec les malheurs de son âne. Le montage alterné agit en transfert de dramatique d'un personnage à l'autre: la perte d'innocence de l'Animal dans l'Homme sous une même cruauté, celle des civilisés - des hommes , essentiellement.

***
Essai à venir
Partir de l'animal pour une histoire commune à l'homme.
Instaurer l'attachement à la bête chez les spectateurs.
Construire une courbe dramatique, de la vie à la mort.
***
Correspondance
Bresson aime la danse des morts.
Correspondance dans Mouchette (1967) et Au hasard Balthazar (1966) : les mouvements du corps dans le passage entre l'animé et l'inamé - ultime coupe dans le montage de l'existence du vivant.
Mouchette se laisse tourner sur elle-même vers le bas d'une petite pente
pour glisser dans l'eau vers la noyade.
Les derniers battements de Balthazar près d'un troupeau de brebis
Croc Blanc a.k.a. l'homme qui a vu l'homme qui a vu le loup

ANNONCE : L'envers de Madame Bec Sec

Huguette Uguay - L’envers de Mme Bec-Sec
Première
L'Annuelle de l’École des médias de l'UQAM
Salle Marie-Gérin-Lajoie
21 mars, 19 h 30
Un film de Sarah Fortin
Produit par Josette Féral et Paul Tana
Montage - Patrick Bossé a.k.a. Croc Blanc

dimanche, mars 19, 2006

Dimanche, c'est aussi Godard


À bout de souffle, 1960 - Jean-Luc Godard

Quelle est votre ambition dans la vie ?
- Devenir immortel et mourir.


Dialogue du film À bout de souffle

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La solitude n'est pas l'isolement. On est toujours deux en un. Il y a les autres en soi.

Jean-Luc Godard
Extrait d'un entretien avec Pierre Assouline - Mai 1997



Croc Blanc a.k.a. dimanche, laissons les autres parler un peu...

Le dimanche de Gramsci


Je suis pessimiste par l'intelligence, mais optimiste par la volonté.

Antonio Gramsci

vendredi, mars 17, 2006

Film du jour : The Conversation

The Conversation, 1974 - Coppola
Construire un personnage en quantité et qualité.
Coppola rend palpable et nous attache au sort d'Harry Caul par son métier : en qualité de précision et en quantité de répétitions - l'obsession des petits gestes minutieux jour après jour.
Croc Blanc a.k.a. journée de peu de mots

Histoire du soir : Prémisse d'un film

Borges citant Hawthorne : Un homme d'un grand ascendant ordonne à un autre, qui lui est moralement soumis, d'exécuter un acte. L'ordonnateur meurt et l'autre, jusqu'à la fin de ses jours, continue à accomplir cet acte.


Croc blanc a.k.a. vesse-de-loup ou veste de loup

mercredi, mars 15, 2006

Histoire du soir : Ève au fond d'un puits

Série Arbres dans la neige - Abbas Kiarostami


La première photographie selon Abbas Kiarostami: le reflet d'Ève se regardant au fond d'un puits, après la promesse de la beauté éternelle par le Diable.
Croc Blanc a.k.a. à force de crier Gare au loup...

Film du jour : Le feu follet

Le feu follet, 1963 - Louis Malle
Drame existentialiste qui se termine par le suicide inévitable du protagoniste principal Alain Leroy (Le roi est mort, vive le roi !), incarné par le sublime Maurice Ronet, que je n'ai jamais vu aussi résonant. Exemple à suivre pour la musique de film: impossible d'inscrire les Gymnopédies de Satie sur une piste sonore après avoir vécu probablement le meilleur film de Louis Malle. Truffaut en dit d'ailleurs de très bons mots dans le recueil d'articles Les films de ma vie.
Le film comporte une des très bonnes scènes de cinéma que j'ai eue la chance de connaître, digne de l'ouverture du Mythe de Sisyphe par Camus : «Il n’y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide». Maurice Ronet se trouve seul, désespéré, dans sa petite chambre encombrée, où germe le goût de mourir. Un fusil comme opportunité l'accompagne dans sa solitude. Il se dirige devant un large miroir couvrant la presque totalité d'un mur. Son reflet glisse sur des photographies, puis sur une date, marquée à main levée: la date de son suicide à venir - chronique d'une mort annoncée. Comme dit le copain Dédé dans l'odyssée Belzébuth: Un pessimiste avec une grosse tête, qui avait d'la suite dans les idées.
***
Coïncidence fatigante. Écrire un court texte sur le suicide alors que joue Mourir pour des idées de Brassens. Pas de hasard. Pas de message ni de signe. Juste un peu d'embarras.
Croc Blanc a.k.a. en attendant d'être un bon gars

Je l'ai vu à la radio

Paul Tana et Patrick Bossé
Le dimanche 5 mars 2006

Le Festival international du film sur l’art (FIFA) présentera un documentaire sur le dramaturge André Brassard intitulé Le diable après les cuisiniers. Deux hommes de cinéma, Paul Tana et Patrick Bossé nous en parlent.

Patrick Bossé et Paul Tana ont été aux premières lignes de la création du film sur l’un des hommes les plus importants du théâtre québécois. Tana en a été le coproducteur et Bossé, le coréalisateur. Le film Le diable après les cuisiniers, d’Alexandra Oakley et Patrick Bossé, sera présenté au Festival international du film sur l’art les 10 et 18 mars.


Pour extrait audio de l'entrevue à l'émission de Franco Nuovo:

http://src.ca/radio/emissions/document.asp?docnumero=18694&numero=1356

Croc Blanc a.k.a. dans la gueule du loup

Les arts et les autres

Les arts et les autres
Tristan Malavoy-Racine
Voir
Cinéma, jeudi 9 mars 2006, p. 16
Festival International du Film sur l'Art

André Brassard le diable après les cuisiniers
d'Alexandra Oakley et Patrick Bossé

En 60 minutes durant lesquelles alternent entrevues récentes avec André Brassard, bribes d'un atelier consacré par celui-ci à l'alexandrin racinien et images d'archives soigneusement sélectionnées, la jeune documentariste Alexandra Oakley (elle n'a pas 25 ans) a su conjuguer les réflexions bouillonnantes d'un grand penseur et acteur de notre théâtre aux questions et inquiétudes provoquées chez lui par la maladie. Très réussi. (T.M.-R.)

mardi, mars 14, 2006

Le merveilleux désobéissant

Le jeudi 09 mars 2006

Le metteur en scène André Brassard a connu des hauts et des bas. Il est le sujet du documentaire Le Diable après les cuisiniers, projeté au FIFA.

André Brassard, le merveilleux désobéissant
Mario Girard
La Presse
Sa vie est aussi extraordinaire que tragique. Son apport au théâtre québécois, incommensurable. Un film s'imposait. Dans le documentaire Le Diable après les cuisiniers, les cinéastes Alexandra Oakley et Patrick Bossé proposent un regard sensible sur cet être énigmatique et attachant qu'est André Brassard.

Dans ce film de la série Paroles d'artistes de l'UQAM, présenté en primeur au Festival du film sur l'art, Brassard - le seul metteur en scène québécois pouvant se passer de prénom - parle d'abord de sa famille. Douleurs. Épreuves. Mais aussi enchantement du théâtre. Années 60. Théâtre contemporain. Les Belles-Soeurs. Consécration. Il devient diable. «Jusqu'à l'arrivée de Brassard, le metteur en scène, c'était le cuisinier», dit un Robert Lepage admiratif. Le théâtre. Toujours lui. Que lui. Brassard dit pourquoi cet art l'a happé. «J'ai toujours voulu savoir ce que les auteurs veulent dire. J'en suis venu à la conclusion que les seules personnes capables de dire exactement le fond de leur pensée sont celles qui font des publicités.» Ça, c'est Brassard. L'intelligence palpable. Le spectateur a d'ailleurs droit à une démonstration (jusqu'ici réservée aux acteurs) de ce qu'il maîtrise le mieux dans la vie: la décomposition d'un texte. À coups de jurons, d'exemples concrets, de questions et d'autres jurons, il extrait la substantifique moelle de chacune des répliques et vient les poser une à une sur les lèvres des acteurs. Moment de grâce.

Ainsi, le film est bâti autour d'allers et retours entre une longue entrevue réalisée dans son bureau et un travail de lecture autour de Racine qu'il réalise avec quelques comédiens: Rita Lafontaine, Patrick Goyette, Marie-France Marcotte...

On aurait pris plus de propos de Brassard, ou alors plus de travail de mise en scène, ou alors plus de témoignages d'amis. Bref, on reste sur notre faim. Est-ce la faute aux cinéastes ou à Brassard qui se laisse découvrir au compte-gouttes?

Puis, les aveux: l'hyper consommation de cocaïne. Et le drame: un AVC qui le laisse diminué. Et des souhaits: «Il me semble que si on m'amenait trois après-midi par semaine dans une salle de répétition, je pourrais encore faire du travail avec les acteurs.»

Triste fin que propose ce documentaire. Il se conclut sur d'atroces paroles de Brassard. «Il me reste à attendre que le temps passe.» Ces mots, on ne veut pas les entendre. Mais Brassard est désobéissant. Jusqu'à la douleur.
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LE DIABLE APRÈS LES CUISINIERS, un film d'Alexandra Oakley et Patrick Bossé, le 10 mars à 19h et le 18 mars à 21h30 à l'Auditorium de la Bibliothèque nationale.

André Brassard: Le diable après les cuisiniers - Première au FIFA

Patrick Bossé, André Brassard et Alexandra Oakley

Vendredi, 11 mars 2006, Alexandra Oakley et moi - coréalisateurs - présentions le documentaire André Brassard: Le diable après les cuisiniers, dans le cadre du Festival international des films sur l'art de Montréal, à l'auditorium de la Grande bibliothèque. Produit dans le cadre de Paroles d'artiste, projet conjoint entre le département de théâtre et le programme de cinéma à l'Université du Québec à Montréal, le film traite de ce metteur en scène de théâtre plus grand que nature.

S'il me restait des cheveux, je les aurais tous arrachés: un accouchement qui m'a rendu nerveux comme ce n'est pas permis. Mais, un jour ou l'autre, il faut laisser partir le rejeton pour qu'il ait sa propre vie. Et c'est parti ! Incroyable le sentiment de sentir la foule réagir au film. Les rires, soupirs, chuchottements... enfin, toutes réactions m'ont rapidement rappelées que la réalisation peut construire la structure d'un film, mais jamais sa réception.

J'ajouterai les critiques apparues dans les différents médias prochainement.

Croc Blanc a.k.a. la fourrure sur le manteau de ta mère

Film du jour : Through a Glass Darkly


Through a Glass Darkly, 1961 - Ingmar Bergman

Int. Matin. Petite maison sur une île.

Une jeune femme, Karin, entend des voix. Elle monte lentement vers une chambre vacante : vieux plancher de bois, tapisserie en lambeaux, murs délabrées. Au loin, résonne les appels constant d'un fort - la voix guide (deus ex machina, toujours le sacré chez Bergman). Karin regarde par une fenêtre l'infini d'eau entourant la maison, sur lequel se réflète la lumière du jour. Elle se blottit prêt d'un mur, avec la délicatesse. Alors que le son du fort résonne toujours en métronome, la voix mystique réconforte Karin, la sensualise: elle enlève sa robe de chambre et se caresse. Elle reprend vie.
***
Poid : Bergman offre l'essence du son au cinéma, l'indemne. Il le transforme en espace. Chaque appel du fort meuble les vides qui l'entourent: la chambre inhabitée, l'horizon de la fenêtre, les trous dans les murs, l'âme de Karin.
Contre-poid : Le son cyclique du fort face aux agissements ératiques de Karin.
Croc Blanc a.k.a. grosses canines

JLG : champ et contre-champ


Notre Musique, 2005 - Jean-Luc Godard

Int. Jour.

Godard devant quelques élèves. Deux photos en main.

La première, de 1946, montre des Juifs débarquant sur une plage pour fonder l’état d’Israël (dixit Godard).

La seconde, vingt ans plus tard, sur une plage où des Palestiniens courent vers la mer pour fuir l’armée israëlienne.

Champ.
Contre-champ.

Comprendre le cinéma par le monde.
La philosophie du cinéma sur et dans le monde.
Un champ et un contre-champ vers un troisième.

***

Jean-Luc Godard-Elias Sanbar par Christophe Kantcheff
Politis
Dimanche, 16 janvier 2005
www.politis.fr/article1213.html
Extrait sur le champ et contre-champ

(Question dans la salle sur le 11 Septembre « mis en scène par un démon ».)

J.-L. G. : Je ne pense rien du 11 Septembre. En revanche, le mot « démon » me fait penser aux équations de Maxwell, à la fin du XIXe siècle, que la mécanique quantique, ensuite, a résolues par la théorie en montrant qu’une particule peut être à deux endroits à la fois, et que si, d’un troisième endroit, on observe la vitesse de cette particule, qui pourrait être un photon, on ne peut savoir où elle se trouve. C’est ce que j’appelle le vrai champ/contre-champ, qui est une figure connue du cinéma mais qui n’a jamais été utilisée comme telle. On a utilisé un autre champ qu’on appelle contre-champ, mais en réalité ce n’est pas cela. Et Maxwell se demandait comment on pouvait ainsi passer d’un endroit à un autre. Il ne trouvait pas la solution théorique. Il a donc appelé ce transfert le « démon ». C’est resté dans le jargon scientifique comme le « démon de Maxwell ». Ce qui est étrange, c’est qu’il a appelé cela le démon et pas le saut de l’ange, par exemple.

À propos du contre-champ, j’ai lu dans une revue (2) cette anecdote à propos du physicien Niels Bohr, qui aimait beaucoup le cinéma, et qui, en voyant un western avec Tom Mix, a fait ce commentaire : « Que le bandit se sauve avec la jolie fille, c’est logique. Que le pont s’effondre sous leur carriole, c’est invraisemblable mais je le crois volontiers. Que l’héroïne reste suspendue entre ciel et terre au-dessus du précipice, c’est encore moins vraisemblable, mais je l’accepte aussi. Je tiens même aisément pour vrai qu’au même moment Tom Mix accoure sur son cheval pour la sauver. Mais que l’opérateur ait pu au même moment se trouver là et enregistrer sur la pellicule toute cette diablerie, voilà qui excède les limites de ma crédulité. » Si vous voulez, cette anecdote donne une idée de ce qu’est la mécanique quantique. Et la présence de cet opérateur donne le sentiment du vrai contre-champ.

Croc Blanc a.k.a. un morceau de viande dans la bouche


lundi, mars 13, 2006

Pensée sur l'enseignement du cinéma

Pourquoi ne pas demander aux élèves de tenir un carnet de bord de leurs pensées cinéma sur un blogue ?

Formuler pour mieux comprendre.
Enseigner avec les outils du monde.

Croc blanc a.k.a. peut-être futur enseignant...

L'outil des Dardenne


«Le cinéma est un art d'objet.»
- Luc Dardenne, Au dos de nos images (1991-2005)

Je l'écris avant d'oublier. C'est fondamental. Comment penser au film Le fils sans ressentir/sentir le poids et la force des outils, l'odeur du bois.

Je ferai une liste de mes dix ou vingt plus grand moments de cinéma plus tard. Je peux déjà assurer que la scène finale du Fils y sera. La marche du père et le jeune meurtrier de son fils, les épaules courbées sous la lourdeur des longues poutres de bois, me semble l'accord parfait entre forme et fond du message: la marche vers la rédemption des crucifiés.

Le cinéma est un travail d'artisan qui met en scène des artisans-personnages.

Toujours penser à l'outil dans l'acte cinéma et dans la scène cinéma.

Si un jour, je construis un film sur l'Abbé Tessier, je dois travailler sur et à partir de ses outils. Défricher, ériger, élever son oeuvre comme il a élevé la sienne.

Croc blanc a.k.a. les dents d'en avant